Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

calme, je sentais comme elle un délire de volupté me rouler dans ses flots.

« Le lit était là, je l’y traînai, elle criait et repoussait ma tête avec ses bras, puis elle me la prenait à deux mains et me la couvrait de baisers furieux ; je vis son bas blanc saillir après la chaussure noire qui lui serrait la cheville, et la forme de sa jambe charnue apparaître ensuite ; à l’endroit où la jarretière la serrait, sa chair commença, avec toutes les séductions de l’enfer, et s’étendit à l’infini, comme la tentation elle-même.

« Je l’ai eue, enfin, je l’ai possédée, ici, à cette place.

« Ma chambre, depuis ce moment, est pleine de ce bonheur, je retrouve dans l’air quelque chose d’elle. Si je m’assieds sur un meuble, mes membres se posent aux places où elle a posé les siens ; le jour, je marche sur les pavés où elle a marché, et la nuit je m’étale avec joie sur ce lit, dont les draps sont tièdes encore, sur cet oreiller qu’elle a parfumé avec ses cheveux. J’avais déchiré sa collerette, elle l’ôta et m’en fit cadeau, je l’ai là, je la garderai. Puis elle prit mon flambeau, et tout en rajustant, devant la glace, ses bandeaux dérangés et les lissant avec la paume des mains :

« — Comment rentrer ? on va s’apercevoir… Regarde comme je suis.

« Mais je ne disais rien, nous étions étourdis l’un et l’autre, comme des gens qui se réveillent.

« Une heure après elle est encore venue, mais déshabillée, tout en blanc, les bras nus ; elle était plus belle encore.

« Ce matin encore, elle est venue, à peine éveillée, sortant du sommeil et souriant comme un enfant, toute fraîche et câline.

« Quand elle n’est plus là, j’attends son retour, je rêve à ses derniers mots, au dernier geste qu’elle a