Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/192

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Depuis le temps qu’Henry la connaissait, elle ne vieillissait pas ; toujours même grâce des lèvres, et même fraîcheur de la peau, même parfum de tout son corps, et à ses yeux elle s’anoblissait et se grandissait ce qui, aux yeux d’autres hommes peut-être, l’eût avilie et rapetissée.

S’il y avait pour elle, au fond de ses entrailles, un appétit moins vorace, et s’il ne sentait plus si souvent, à son regard, de ces épreuves d’amour où toute sa substance s’épanchait vers la sienne, harmonie suprême dans laquelle l’infini semble prendre leur niveau, en revanche il se surprenait à l’aimer d’une autre manière et comme sous un autre aspect du cœur ; il éprouvait plus de respect, de contemplation, de religion ; elle lui apparaissait consolante, fortifiante, la source de toute félicité, le principe de la vie, ayant son seul but en elle-même, imitant à son insu ce que l’humanité a fait aussi quand, lassée de la femme et ayant bien retourné de la main la misère de sa chair, triste alors mais l’aimant toujours, puisque c’est sa destinée, elle la plaça dans le sein de Dieu et se mit à l’adorer.

Au milieu de ce bonheur était pourtant un grand vide, son âme y tournait irrésolue. N’ayant plus rien à attendre d’Émilie, il en attendait néanmoins quelque chose et en espérait encore des trésors non révélés, comme si tous ne lui avaient pas été livrés ; aussi, quoique le présent fût doux, l’avenir ne lui en paraissait pas moins la mine inépuisable, où le dernier mot serait dit ; chaque heure était belle, cependant il y avait au fond de ce charme même un regret singulier vers celle qui s’était écoulée et qui ne reviendrait plus.

Qui me rendra les sons de la cloche qui sonnait hier, au crépuscule, et le gazouillement des oiseaux qui chantaient ce matin dans les chênes ! et pourtant je m’ennuyais au coucher du soleil et je bâillais de fatigue à son aurore !

Il l’admirait d’être toujours sans ennui, d’avoir ce