Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/194

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laquelle montre était, d’ailleurs, retenue à son cou par une chaîne de sûreté en cheveux blonds.

Le soir, pour lire le journal, il mettait des lunettes, mais il ne comprenait pas qu’on pût se servir de lorgnon et il raillait là-dessus très finement les gens qui en portent.

Il détestait l’eau de Cologne et en général tous les parfums et les odeurs quelconques, il n’aimait pas non plus les hommes qui ont des gants blancs ; il pensait aussi que les moustaches ne conviennent qu’aux militaires et qu’à moins d’être marin on ne doit pas fumer.

Il avait ses idées faites sur tous les sujets possibles ; pour lui toute jeune fille était pure, tout jeune homme était un farceur, tout mari un cocu, tout pauvre un voleur, tout gendarme un brutal, et toute campagne délicieuse.

En fait d’art, il y avait dans son salon, les gravures des batailles de l’Empire et, dans son cabinet, au-dessus de son bureau, l’Amour demandant des armes à sa mère.

Il voulait la liberté des cultes, mais il disait que celle de la presse était poussée jusqu’à la licence, et qu’on ferait bien d’envoyer quelques journalistes aux galères de temps à autre, pour l’exemple. Il criait toujours contre le gouvernement, et à la moindre émeute il se déclarait pour les mesures les plus violentes. Il détestait les prêtres, qu’il appelait tous des hypocrites, des tartufes, mais il affirmait néanmoins qu’il fallait une religion pour le peuple. Étant propriétaire, il défendait la propriété, tremblait toujours pour la sienne, et avait peur du prolétaire.

Il admirait également Voltaire et Rousseau, qui étaient dans sa bibliothèque, qu’il n’avait pas lus, qu’il n’eût pas compris. Il parlait souvent d’Henri IV, qu’il appelait le Béarnais, et de la « poule au pot » que ce bon monarque voulait faire manger à ses enfants tous les dimanches ; il citait encore le « pends-toi,