Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/241

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nir ; même il en attesta un garçon du Café Tabourey, qui écurait alors les carreaux du rez-de-chaussée. Ce garçon de café n’avait rien vu, néanmoins il se rangea fortement à l’avis du bouquiniste et jura sa parole d’honneur qu’il disait la vérité ; il raconta en outre comment les choses s’étaient passées, amplifiant tout, se mettant lui-même dans l’histoire, fournissant des détails nouveaux, inventant des injures qui n’avaient pas été dites, uniquement pour le plaisir de parler, de pérorer en public, pour faire l’homme nécessaire, pour poser devant deux ou trois demoiselles qui étaient là.

La caserne de la garde municipale étant proche, on y conduisit le père Renaud, en attendant que le commissaire de police fût averti ; Henry l’y suivit, poussé par le flot qui les entourait et qui se dissipa dès qu’on put entrer.

Un jeune homme à longue figure niaise s’assit à côté du père Renaud, sur le même banc que lui, et se mit à lui parler et à le consoler ; il s’était poussé dans le corps de garde sans que la sentinelle le vît, et les soldats l’y laissaient maintenant, croyant qu’il était l’un des tapageurs arrêtés.

Or ce n’était rien autre que ce pauvre Shahutsnischbach qui, passant par la rue de Tournon — pour une commission que Mme Renaud lui envoyait faire — avait rencontré son maître en si triste état, en avait eu pitié et l’avait suivi.

— Vous êtes bon, vous ! lui disait le père Renaud, vous êtes bon !

Et le bon Allemand, en effet, le réconfortait de son mieux, il alla lui-même dans la cour, y mouilla son mouchoir sous la pompe, revint auprès de M. Renaud et lui essuya le sang qui était resté le long de sa figure ; il s’offrit pour courir lui chercher un médecin, pour acheter quelque drogue s’il en avait besoin, pour aller avertir chez lui, pour tout ce qu’il voudrait, n’importe quoi. En songeant que, jusqu’à cette heure, à peine