Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/247

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étaient bien faits pour la vie, et que tout son être alors s’épanouissait au bonheur comme une plante au soleil ; que si le ciel l’avait voulu il aurait pu vivre heureux, et qu’il y a des gens sur la terre qui s’en vont au bras de leur maîtresse en regardant les étoiles. D’autres que lui avaient-ils ces perpétuels tourments, qui font du cœur d’un homme un enfer qu’il porte avec lui ? et peut-être était-il en ce moment la seule créature qui pensât ces choses-là. Puis revinrent successivement tous les amours qu’il avait eus, tous les airs de fêtes dont il avait été en rêves, tous les costumes qu’il avait aimés : écharpes qui pendent des balcons, longues robes à queue qui traînent sur les tapis, ses illusions d’enfant, ses illusions de jeune homme, son grand amour trompé, la sombre époque qui l’avait suivi, ses idées de mort, son appétit du néant, son redressement subit, ses résolutions gigantesques et l’éblouissement de la vue première de son intelligence, ses projets, ses aspirations, ses frissonnements divers à l’inspiration des belles œuvres, les avortements de sa pensée, ses évanouissements d’ennui, et toute l’humiliation de ses chutes, plus profondes chaque fois de la hauteur d’où il était tombé.

De tout cela cependant résultait son état présent, qui était la somme de tous ces antécédents et qui lui permettait de les revoir ; chaque événement en avait produit un second, chaque sentiment s’était fondu dans une idée. Il avait tiré, par exemple, des théories de la volupté qu’il ne sentait plus, et la sienne était arrivée enfin comme la conclusion des faits ; si elle était fausse, c’est qu’elle était incomplète ; si elle était étroite, il fallait tâcher de l’élargir. Il y avait donc une conséquence et une suite dans cette série de perceptions diverses, c’était un problème dont chaque degré pour le résoudre est une solution partielle.

Mais puisque le dernier mot n’arrive jamais, à quoi bon l’attendre ? ne peut-on pas le pressentir ? et n’y