Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/268

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voit les cieux s’ouvrir sur sa tête, avec les anges aux ailes blanches et les séraphins aux harpes d’or. Redevenu calme, l’homme ne se comprend plus lui-même, son propre esprit lui fait peur et il s’épouvante de ses rêves, il se demande pourquoi il a créé les djinns et les vampires, où est-ce qu’il voulait aller sur le dos des griffons, dans quelle fièvre de la chair il a mis des ailes au phallus, et dans quelle heure d’angoisse il a rêvé l’enfer.

Compris comme développement de l’essence intime de notre âme, comme surabondance de l’élément moral, le fantastique a sa place dans l’art, les plus sceptiques et les plus railleurs s’en sont servis, et toute la faiblesse de quelques-uns n’a pas eu d’autre cause que de n’avoir pu le sentir et l’exprimer. Quant à celui qu’engendre de parti pris la fantaisie de l’artiste, par l’impossibilité où il se trouve à exprimer son idée sous une forme réelle, humaine, il dénote généralement peu d’étendue dans l’esprit et plus de pauvreté d’imagination qu’on ne le pense de coutume ; l’imagination en effet ne vit pas de chimères, elle a son positif comme vous avez le vôtre, elle se tourmente et se retourne pour l’enfanter, et n’est heureuse qu’après lui avoir donné une existence réelle, palpable, durable, pondérable, indestructible.

Alors il s’éprit d’un immense amour pour ces quelques hommes au-dessus des plus grands, plus forts que les plus forts, chez lesquels l’infini s’est miré comme se mire le ciel dans la mer ; mais à mesure qu’il contemplait leurs œuvres, elles s’agrandissaient à sa pensée, de même que s’élèvent les montagnes à mesure qu’on veut les gravir ; plus il croyait les comprendre et plus il en était écrasé, l’éblouissement le saisissait, il ne voulait pas croire que l’homme fût si grand.

Savaient-ils ce qu’ils étaient, sentaient-ils jusqu’au fond ce qu’ils faisaient eux-mêmes, ces immortels dont nous parlons ? D’abord les hasards de la vie n’arri-