Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/270

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approche de la savante harmonie qui se rencontre chez ces maîtres à son état le plus naturel et le plus complet, comme à sa source et à son principe. Il conclut de là que l’inspiration ne doit relever que d’elle seule, que les excitations extérieures trop souvent l’affaiblissent ou la dénaturent, qu’ainsi il faut être à jeun pour chanter la bouteille, et nullement en colère pour peindre les fureurs d’Ajax ; il se rappela le temps où il se battait les flancs pour se donner l’amour en vue de faire des sonnets.

Alors la suprême poésie, l’intelligence sans limites, la nature sur toutes ses faces, la passion dans tous ses cris, le cœur humain avec tous ses abîmes, s’allièrent en une synthèse immense dont il respectait chaque partie par amour de l’ensemble, sans vouloir ôter une seule larme des yeux humains ni une seule feuille aux forêts.

Il vit que tout ce qui élimine raccourcit, que tout ce qui choisit oublie, que tout ce qui taille détruit, que les poèmes épiques étaient moins poétiques que l’histoire, et que, pour les romans historiques par exemple, c’était un grand tort de vouloir l’être ; celui qui, selon une idée préconçue et pour la loger convenablement quelque part, médite le passé sous d’autres couleurs qu’il n’est venu, refait des faits et rajuste des hommes, arrive à une œuvre fausse et sans vie, l’histoire est toujours là, qui l’écrase de la hauteur de ses proportions, de toute la plénitude de son ensemble ; le seul moyen de l’égaler, ce serait d’atteindre à ses exigences et de compléter ce qu’elle n’a pas dit. Mais que de science ne faudrait-il pas pour être à même de comprendre l’époque ! que d’érudition première pour acquérir cette science ! que de sagacité pour l’appliquer ! quelle intelligence ensuite pour voir les choses telles qu’elles sont venues ! quelle force innée pour les reproduire et quel goût surtout pour nous les faire entendre !

Jules s’enrichissait ainsi de toutes les illusions qu’il