Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/272

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une époque prosaïque, les œuvres qui la pourraient peindre, devant se ressentir du sujet, n’y trouveraient aucune profondeur et n’en tireraient aucun éclat ; or, après en avoir adopté les idées courantes dans sa première jeunesse, et l’avoir ensuite détestée lors de son retour à l’antiquité, à la plastique, haïssant alors le frac noir par amour du pallium et la botte vernie à cause du cothurne ; il se demanda cependant un jour si un demi-siècle ou il y avait eu une révolution pour changer le monde et un héros pour le conquérir, où l’on avait vu des monarchies s’écrouler et des peuples naître, des religions finir et des dogmes commencer, des cadavres revenant de l’exil, des rois qui y retournaient, et partout comme un souffle de tempête qui précipitait les événements à leur conséquence, lui heurtait les idées contre les faits, les philosophies contre les religions, tout cela allant, tourbillonnant, si tassé, si mêlé, si confus que toutes les théories avaient eu leur jour, toutes les conceptions leur forme, la foi, le doute, l’enivrement et l’accablement, la corruption et la vertu, la trahison et l’héroïsme s’étant montrés tour à tour les uns en face des autres, souvent dans le même fait, chez le même peuple, quelquefois dans le même homme, de manière que rien n’offrait plus d’ensemble tout en gardant une variété infinie, il se demanda donc si une telle époque ne laissait pas plus de latitude et d’enseignement au penseur et plus de liberté à l’artiste que la contemplation d’une société à figure plus arrêtée où, tout étant limité, réglé et posé, l’homme se trouvait en même temps avoir moins agi par lui-même et la Providence l’avoir moins fait agir. Mais de cette surabondance de matériaux résulte l’embarras de l’art, il ne sait que faire du moment qui est, ni comment le percevoir ; pour qu’il puisse le saisir et le manier, il faut qu’il le trouve fixé quelque part ; l’histoire n’est belle que racontée, et les plus magnifiques palais ne valaient pas