Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs ruines. Dans son amour de la beauté, l’artiste parfois peut regretter ces frontispices abattus et toutes ces statues mutilées ; mais s’il savait, dans l’intérêt de sa pensée, combien le passé est de la nature de l’infini, et que plus cette perspective est longue plus elle est belle, il serait tenté de bénir le vent qui déracine les pierres et le lierre qui se met à les recouvrir.

Jules acquit donc la conviction qu’il y aura de magnifiques travaux d’art à exécuter sur le xixe siècle, quand on en sera à distance, pas encore assez loin pour qu’on perde les détails, pas trop près non plus pour qu’ils prédominent sur l’ensemble.

On lui avait dit aussi — il l’avait lu dans les revues — que le caractère individuel s’étant considérablement mûri par suite des préoccupations politiques de la nation, les rangs s’étant nivelés et les conditions rapprochées, la comédie était devenue une chose impossible, une forme de l’art entièrement perdue ; eh bien, il se persuada du contraire à la longue. Il est vrai, le sens comique lui était moins naturel que celui du tragique, et, dans la littérature comme dans le monde, il confondait souvent les genres.

Il alla à Paris, il assista aux cours de la Sorbonne, et sa conviction récente n’en fut pas détruite ; en entendant encore des professeurs donner les règles du goût et des gens qui ne savent pas écrire quatre lignes enseigner comment il aurait fallu composer un livre, il s’amusa même davantage et rit de meilleur cœur qu’en voyant un singe raser un homme, ou un caniche habillé en soldat faire la charge en douze temps.

Les journaux lui semblaient aussi une source inépuisable de facéties, avec leur dévouement au pays et leur amour de la morale publique, la lourdeur de leur style par-dessus la futilité de leurs pensées, boîtes de plomb qui renferment du sable ; les plus grands, les plus sérieux, les plus majestueux, les plus rogues, étaient selon lui les meilleurs, de sorte qu’il n’y avait