Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui lui récitait des élégies faites en son honneur ; il avait quitté la première parce qu’elle était trop difficile, la seconde parce qu’elle l’était trop peu, et il n’était parvenu à se débarrasser de la troisième, qui était fort laide, qu’en se donnant lui-même un successeur. Il avait fait du sentiment avec la dévote, pris du plaisir avec la danseuse, et sa vanité s’était complue dans la société du bel-esprit ; il avait eu la femme pieuse en assistant aux offices et en se tenant debout, tête nue, tout vêtu de noir, appuyé contre un pilier d’église ; il avait conquis le cœur de la comédienne en débitant des facéties au dessert, et la dernière s’était affolée de lui après l’avoir entendu lire deux pages de Jocelyn.

Rien ne serait plus faux que de soutenir qu’il joua la comédie vis-à-vis d’aucune d’elles, il les avait aimées réellement chacune l’une après l’autre, il avait été tour à tour presque mystique dans sa première passion, bambocheur et farceur dans la seconde, littéraire et élégiaque dans la troisième ; tout le monde n’a-t-il pas envie de danser à la noce en entendant les violons, et envie de pleurer à l’enterrement en suivant le corbillard, quoiqu’on se moque aussi bien de la mariée que du défunt ? c’est que notre gaieté naturelle est excitée par la gaieté qui vient à notre rencontre, et notre tristesse innée par la tristesse que nous trouvons sous nos pas.

Henry ne fit donc que suivre ses instincts d’amour sérieux, en aimant une femme frêle, aux yeux purs et aux poses chrétiennes, dont le chevet était ombragé de buis bénit, dont la phrase était onctueuse et douce comme la prière, passion toute parfumée d’encens et pénétrée de candeur ; il obéit ensuite au besoin d’une existence pleine de sensualités violentes et de plaisirs bruyants, en cherchant à partager celle qui s’offrait à lui, toute remplie de luxe et de vanités sonores, fertile en récréations charnelles et en hasards singuliers.