Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/290

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mais s’étant rendu malade, il vécut l’année suivante dans une continence et une tempérance exemplaires, après quoi il se décida à mener un train de vie tout à la fois plus raisonnable et moins rigide.

Il avait également d’abord porté les cheveux longs, puis très ras ; ils avaient maintenant une longueur convenable.

Voilà comme il était, merveilleusement propre à accepter toutes sortes d’idées et à agir de toutes sortes de façons ; il passait sans difficulté d’une opinion à une autre, d’une raison à une raison contraire, de la brune à la blonde, de l’enjouement à la mélancolie, non par scepticisme et par dédain, mais par une sorte de conviction tiède et d’entraînement paisible, qui le rendait dupe de lui-même tout en dupant quelquefois les autres. Il ne croyait pas trop à la vérité de l’amour, à l’infaillibilité de la raison, à la vertu des femmes et à la probité des hommes, et cependant il pensait que son amour était profond, que ses opinions étaient à peu près irréfutables, que sa maîtresse l’aimait éperdument, et qu’il était lui-même plein de rares qualités morales.

Il n’avait pas de grands espoirs, de sorte qu’il n’éprouvait jamais de grandes déceptions ; il ne voyait rien qui ne fût à sa portée, tout était à lui et pour lui ; ce qui est incompréhensible il n’y pensait pas, ce qui est insurmontable il ne faisait pas d’effort pour l’atteindre, car il y avait beaucoup de bonne foi dans sa vanité et une sorte de naïveté dans ses finesses.

Il mettait dans ses tendresses un peu de poésie facile, qu’il avait soin de laisser voir et qu’il éprouvait juste assez pour qu’on s’en aperçoive ; il s’indignait de ce qui indigne et se réjouissait de ce qui réjouit ; il a dit : « c’est bien fâcheux » à la mort du duc d’Orléans, « c’est bien beau » aux funérailles de l’empereur, et il n’était pas de ceux qui pleuraient ni de ceux qui tressaillaient.