Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/297

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plusieurs dîners splendides, qui lui avaient acquis sa faveur et conquis son amitié.

Ce fut alors qu’il quitta la danseuse, avec laquelle il avait dépensé 15,000 francs en trois semaines, c’est-à-dire trois fois le double de son revenu annuel ; les folies nécessaires qu’il avait commises pour se faire connaître lui étant alors devenues inutiles, il y renonça aussitôt, la moitié en fut avouée au père Gosselin, qui les paya ; l’acquittement du reste fut remis indéfiniment.

N’importe ! il était en beau chemin, il avait une réputation d’élégant dont l’écho pouvait encore durer quelque temps, une réputation d’homme d’esprit qu’il soutenait de tous ses efforts, et une réputation naissante de penseur, d’homme à études sérieuses et à ressources variées, qu’il établissait par l’intrigue.

Quand il était en tête à tête avec Jules, il se moquait bien de tous ces orateurs empâtés dont il louait l’éloquence, des talents inféconds, des habiletés obscures qu’il respectait, de toutes ces saines idées qu’il faisait profession de défendre ; mais cependant Jules trouvait qu’insensiblement il venait à respecter des choses peu respectables et à admirer des hommes médiocres.

Il logeait dans la rue de Rivoli, au quatrième il est vrai, mais il n’y en avait pas moins : rue de Rivoli sur l’adresse de ses cartes vernies ; il allait tous les soirs au bal, figurait une fois par semaine à l’orchestre des Italiens, et avait déjà des invitations pour passer ses vacances dans des châteaux. Jules logeait dans une chambre garnie de la rue Saint-Jacques, et vivait en donnant quelques leçons de latin, qu’on ne lui payait pas cher, ou en faisant quelques articles dans les petits journaux, qu’on ne lui payait pas du tout ; les deux bonnes maisons qu’il fréquentait c’était Henry qui l’y avait introduit ; sa société habituelle se composait de deux étudiants en médecine du quartier, de quelques jeunes peintres auxquels il faisait un cours d’histoire ;