Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/30

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son cou sont presque de la même couleur. C’était la vieille camarade de Mme Émilie, son amie de dortoir, sa confidente intime ; elles se voyaient presque tous les jours, restaient longtemps ensemble, et se reconduisaient régulièrement jusqu’à la porte de la rue, où la conversation se prolongeait bien encore un bon quart d’heure.

À peine entrée dans le salon, elle se défit familièrement de son châle et de son chapeau, qu’elle alla porter dans la chambre de Mme Renaud. Mme Renaud lui prit tout cela des mains et elles sortirent ensemble, aussi vives et aussi gaies que des jeunes filles.

— Eh ! bonjour, mon cher Ternande, dit l’amphitryon en serrant les mains à un grand luron à chevelure fougueuse, qui portait dans le monde un aplomb imperturbable, un habit vert à boutons brillants, boutonné du haut en bas. Comment vont les arts ?

— Mais pas mal, mon cher maître, pas mal.

— Notre coloris se chauffe-t-il ?

— À mort, répondit l’artiste.

— Et le torse ? continua M. Renaud en ricanant d’une manière fine, le torse, comme vous le dites, l’étudions-nous toujours ? J’aime beaucoup le torse, moi… Toujours ferme, l’antique, j’espère ? il ne faut pas sortir de là, voyez-vous, l’antique, l’antique !

— Vous y voilà encore ! répondit Ternande impatienté, mais, mon cher monsieur, comprenez donc…

Il l’entraîna dans l’embrasure d’une fenêtre et lui exposa pour la centième fois ses idées sur l’art, qui ne furent pas plus comprises que la première, malgré ses rapprochements ingénieux, ses décisions tranchées et sa gesticulation expressive.

— Mais à quoi penses-tu donc, mon ami ? dit Mme Renaud en venant prendre son mari par le bras et le tirer de sa discussion esthétique, à quoi penses-tu ? voici la famille Dubois, salue-la donc.