Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui en usent, l’amour un lyrisme étranger à ceux qui en sont pleins.

Sa vie est obscure. À la surface, triste pour les autres et pour lui-même, elle s’écoule dans la monotonie des mêmes travaux et des mêmes contemplations solitaires, rien ne la récrée ni la soutient, elle paraît rude et dure, elle est froide au regard ; mais elle resplendit, à l’intérieur, de clartés magiques et de flamboiements voluptueux ; c’est l’azur d’un ciel d’Orient tout pénétré de soleil.

Arrivé au haut de la pyramide, le voyageur a les mains déchirées, les genoux saignants, le désert l’entoure, la lumière le dévore, une âpre atmosphère brûle sa poitrine ; accablé de fatigue et ébloui de clartés, il se couche agonisant sur la pierre, au milieu des carcasses d’oiseaux qui sont venus y mourir. Mais relève la tête ! regarde, regarde ! et tu verras des cités avec des dômes d’or et des minarets de porcelaine, des palais de lave bâtis sur un socle d’albâtre, des bassins entourés de marbre où les sultanes viennent baigner leur corps, à l’heure que la lune rend plus bleue l’ombre des bosquets, plus limpide l’onde argentée des fontaines. Ouvre les yeux ! ouvre les yeux ! ces montagnes arides portent des vallons verts dans leurs flancs, il y a des chants d’amour sous ces huttes de bambous, et dans ces vieux tombeaux les rois d’autrefois dorment tout couronnés. On entend les aigles crier dans les nuages, la clochette des monastères retentit au loin ; voilà les caravanes qui se mettent en marche, les conques qui descendent le fleuve ; les forêts s’étendent, la mer s’agrandit, l’horizon s’allonge, touche au ciel et s’y confond. Regarde ! prête l’oreille, écoute et contemple, ô voyageur ! ô penseur ! et ta soif sera calmée, et toute ta vie aura passé comme un songe, car tu sentiras ton âme s’en aller vers la lumière et voler dans l’infini.

Abandonnée, stérile aussi sur ses premiers plans,