Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veuve de frais ombrages et de sources murmurantes, l’existence de Jules est calme comme le désert, sereine comme lui, riche comme lui d’horizons dorés, de trésors inaperçus ; elle renferme l’écho de tous les zéphyrs, de toutes les tempêtes, de tous les soupirs, de tous les cris, de toutes les joies, de tous les désespoirs ; des vertiges tournent dans sa pensée, des sentiments se meuvent dans son cœur, des lascivetés coulent dans sa chair. Il boit à ces torrents sans nom qui emportent l’idée au delà d’elle-même, ou bien il se dilate à l’aise dans d’inépuisables océans dont il sonde les profondeurs, dont il explore les rivages. L’histoire s’étale dans son souvenir, l’humanité se déroule sous ses yeux, il s’enivre de la nature, l’art l’illumine de ses clartés. À lui toutes les poésies et toutes les harmonies, la seule poésie et la grande harmonie ! à lui le chant de toutes les voix, l’hymen de toutes les âmes, la forme de tous les corps ! Il se pénètre de la couleur, s’assimile à la substance, corporifie l’esprit, spiritualise la matière ; il perçoit ce qu’on ne sent pas, il éprouve ce qu’on ne peut point dire, il raconte ce qu’on n’exprime pas, il vous montre les idées qu’on ébauche et les éclairs qui surprennent ; il va de l’œuvre à l’inspiration qui l’a créée, et, rêvant à ces filiations diverses, comme un voile détaché qui court dans les cieux ou sur la surface bleue des mers, il flotte et remonte dans les espaces d’où elles sont parties, pour retrouver le sillon perdu de ces feux descendus sur la terre et la source cachée de ces effluves venus jusqu’à nous. Du cèdre aux primevères, du serpent à la femme, du pâtre qui fait boire ses troupeaux au monarque qui conduit ses armées, des peuples qui bégaient leur nom aux sociétés qui se résument dans des lois, du rire aux pleurs, de la haine à l’amour, il remonte les échelons, parcourt tous les chemins, se promène dans tous ces labyrinthes, s’inquiétant du moule premier de toutes ces