Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/35

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sur le malheur de la vie et sur les soleils couchants. Leur entretien ne dura pas longtemps, mais il fut plein, le regard accompagnait chaque mot, le battement de cœur précédait chaque parole. Mme Renaud admira l’imagination d’Henry, qui fut séduit par son âme.

Mlle Aglaé fut priée de chanter, elle se mit au piano, enfila des gammes, hennit, piaffa, pompa et brossa le clavier. Personne ne comprit un mot de l’air d’italien qu’elle fit sortir de son larynx ; comme il était long, tout le monde applaudit à la fin. L’Allemand, à qui on demanda son avis, répondit qu’il ne se connaissait pas en musique, ce qui sembla drôle, les Allemands devant être musiciens.

Alvarès, qui était resté au coin du piano pendant tout le temps que Mlle Aglaé avait chanté, et qui lui avait ramassé une fois sa bague et l’autre fois un cahier de musique, dit le soir, en se couchant, à son camarade Mendès :

— Tu n’étais pas, comme moi, près d’elle, tu n’as pas vu ses yeux. Quand elle a dit : Amor ! vieni ! oh ! je sentais ses longues papillotes chasser l’air autour d’elle, un air chaud, embaumé. Comme cette femme-là vous aimerait ! comme elle chante bien !

Mendès lui répondit :

— Oh ! que Mme Dubois a une belle poitrine ! Quelle poitrine ! tu n’as pas remarqué, au dessert, quand elle parlait, comme sa gorge montait et s’abaissait. Pour aller à la table de jeu elle a passé devant moi, si près de moi qu’une chaleur douce m’en est venue sur la joue… Être l’amant de cette femme-là, ô mon Dieu !

Et Henry ? Rentré dans sa chambre, il s’y déshabilla lentement, rêveur sans savoir pourquoi, et avec un sourire dans l’âme. Sur la cheminée il trouva une clef, c’était celle de Mme Renaud, qu’elle tenait à ses doigts tantôt et qu’elle avait oubliée là par hasard, et