Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/41

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jour de décembre, âpre et terne, alors qu’on ne peut pas sortir parce que le temps est trop vilain, ni rester à lire chez soi parce qu’if ne fait pas assez clair.

Il relut la lettre deux fois et en savoura toute la tendresse amère ; lui aussi, il pensa à cette moitié de lui-même, laissée là-bas avec tant d’autres chères affections ; il pensa à sa mère, à sa sœur, au foyer paternel plein de douceurs et de caresses, aux murs de la maison, si chauds, si bons pour vous, muets amis qui vous abritent, vous voient grandir ; il se plaignit lui-même, il s’attendrit sur son isolement, et une larme vint lui rougir la paupière.

En ce moment-là, la sonnette de la grande porte sonna, quelqu’un monta l’escalier en courant, la clef de sa chambre tourna rapidement dans la serrure, il entendit marcher derrière lui.

— Pardonnez-moi si j’entre chez vous, dit Mme Renaud en s’avançant, mais je reviens de la promenade, il n’y a pas de feu d’allumé chez moi, je suis morte. Quel temps affreux !

Elle releva son voile, tira un peu sa robe par le bas, et avança le pied sur un chenet pour se chauffer. Le grand air lui avait donné des couleurs, ses joues étaient roses, toutes fraîches et un peu bleues ; ses yeux étaient humides et plus doux encore qu’à l’ordinaire. Elle ôta ses mains de dedans son manchon, elle était gantée très juste, surtout au poignet. Rien n’est joli comme un étroit gant blanc qui sort d’un gros manchon doublé de rose, tenant un mouchoir brodé bien chiffonné, bien chaud et sentant bon ; rien n’est joli comme cela, lecteur, si ce n’est la main elle-même, quand elle est belle.

Et Henry oublia de suite le drame du Chevalier de Calatrava ainsi que son auteur, ainsi que le collège, ainsi que ses parents et que son toit natal, dont le souvenir lui avait tout à l’heure fait verser des larmes.