Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/51

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elle est ouverte peut-être, on voit son épaule appuyée sur l’oreiller qui cède doucement et lui entoure la tête. »

Et il se mit à l’aimer, à aimer sa main, ses gants, ses yeux, même quand ils regardaient un autre, sa voix quand elle lui disait bonjour, les robes qu’elle portait, mais surtout celle qu’elle avait le matin, une façon de sarrau rose à larges manches et sans ceinture, à aimer la chaise ou elle s’asseyait, tous les meubles de sa chambre, la maison tout entière, la rue où était cette maison.

Il attendait avec anxiété l’heure des repas, où elle était à table en face de lui ; le soir, il désirait être au lendemain et ainsi de suite. Les jours s’écoulaient et les semaines, il y avait tant de douceur à exister près d’elle ! Dans le jour elle allait et venait, il l’entendait vivre ; la nuit, sous le plancher où elle marchait, il la sentait dormir.

Elle avait coutume tous les matins, même en hiver, de descendre dans le jardin et de s’y promener. Henry allait quelquefois avec elle, il lui donnait le bras, ils marchaient ensemble côte à côte, ses pieds écrasaient les grains de sorbier tombés dans les allées ; l’air frais, qui faisait frissonner les pattes de son bonnet de nuit, agitait son large vêtement ; d’autres fois, la prenant par derrière, le vent lui poussait sa jupe et accusait ainsi tous les contours de sa taille. Ou bien on se baissait pour cueillir une violette cachée sous l’herbe ; quand il y avait du soleil, on s’asseyait sous la tonnelle et l’on causait.

D’abord leurs entretiens avaient été longs, très abondants d’idées et de sentiments ; peu à peu ils devinrent entrecoupés, presque silencieux. À l’époque dont je parle ils ne savaient plus guère que se dire.

Henry prêtait des livres à Mme Émilie, des poésies, quelques romans, elle les lisait en cachette, le soir, dans son lit, et elle les lui rendait avec mille marques