Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/98

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— Ah ! ça m’intéresse fort peu.

— C’est possible, mais ça m’intéresse beaucoup, moi… Mon Dieu ! que mon genou me fait souffrir ! je vais boiter comme un invalide, j’ai les jarrets rompus, j’ai trop sauté cette nuit ; j’ai aussi mal à la gorge, j’ai trop crié à souper.

Henry était venu chez Morel pour lui conter sa peine, et comme elle était vive il croyait devoir en parler longtemps, et que des mots nouveaux viendraient d’eux-mêmes pour exprimer une douleur toute récente, mais sa parole se tarit vite, et il demeura tout étonné d’avoir si peu de choses à dire. Il se leva donc pour sortir.

— Adieu, Morel.

— Adieu, Henry, bon courage et soyez plus gaillard une autre fois.

« Le diable t’emporte ! pensait Henry en refermant la porte, ouvrez donc votre cœur aux hommes et montrez-en les blessures, ils détourneront la tête avec horreur ou riront de votre faiblesse, car ils ne souffrent pas, eux, et ils s’occupent d’autres choses. Ah ! j’aurais besoin de Jules pour lui dire tout ça… ce pauvre Jules ! il est bon, celui-là ; mais lui, Morel, quel esprit inepte ! quel cœur étroit ! comme il m’ennuyait avec ses histoires de fillettes et de bal masqué ! comme il criait pour son écorchure ! comme il respectait par avance le sot mémoire qu’il va faire ! »

« Sont-ils drôles, tous ces farceurs, avec leur sentiment, se disait Morel en descendant son escalier, en se tenant à la rampe de peur de tomber, en voilà un dont je commençais à avoir suffisamment pour ma part. Qu’est-ce que ça me faisait, à moi, qu’elle eût valsé avec un autre, et puis qu’Alvarès et Mendès soient montés dans le même fiacre que lui, qu’il ait plu cet après-midi pendant que je dormais, et qu’il ait du noir dans l’âme ? »

Rentré chez lui, Henry écrivit à Jules une longue