Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/139

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noir, la ceinture défaite, les pieds nus, en tenant d’un air mélancolique de gros bouquets de fleurs.
Par terre, aux coins de l’estrade, des urnes en albâtre pleines de myrrhe fument, lentement.
On distingue sur le lit le cadavre d’un homme. Du sang coule de sa cuisse. Il laisse pendre son bras ; — et un chien, qui hurle, lèche ses ongles.
La ligne des flambeaux trop pressés empêche de voir sa figure ; et Antoine est saisi par une angoisse. Il a peur de reconnaître quelqu’un.
Les sanglots des femmes s’arrêtent ; et après un intervalle de silence,
toutes
à la fois psalmodiant :

Beau ! beau ! il est beau ! Assez dormi, lève la tête ! Debout !

Respire nos bouquets ! ce sont des narcisses et des anémones, cueillies dans tes jardins pour te plaire. Ranime-toi, tu nous fais peur !

Parle ! Que te faut-il ? Veux-tu boire du vin ? veux-tu coucher dans nos lits ? veux-tu manger des pains de miel qui ont la forme de petits oiseaux ?

Pressons ses hanches, baisons sa poitrine ! Tiens ! tiens ! les sens-tu nos doigts chargés de bagues qui courent sur ton corps, et nos lèvres qui cherchent ta bouche, et nos cheveux qui balayent tes cuisses, dieu pâmé, sourd à nos prières !

Elles lancent des cris, en se déchirant le visage avec les ongles, puis se taisent ; — et on entend toujours les hurlements du chien.

Hélas ! hélas ! Le sang noir coule sur sa chair neigeuse ! Voilà ses genoux qui se tordent ; ses