Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/150

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Cependant les tuiles du palais d’or s’envolent.
jupiter
est descendu de son trône. Le tonnerre, à ses pieds, fume comme un tison près de s’éteindre ; — et l’aigle, allongeant le cou, ramasse avec son bec ses plumes qui tombent.

Je ne suis donc plus le maître des choses, très bon, très grand, dieu des phratries et des peuples grecs, aïeul de tous les rois, Agamemnon du ciel !

Aigle des apothéoses, quel souffle de l’Érèbe t’a repoussé jusqu’à moi ? ou, t’envolant du champ de Mars, m’apportes-tu l’âme du dernier des empereurs ?

Je ne veux plus de celles des hommes ! Que la Terre les garde, et qu’ils s’agitent au niveau de sa bassesse. Ils ont maintenant des cœurs d’esclaves, oublient les injures, les ancêtres, le serment ; et partout triomphent la sottise des foules, la médiocrité de l’individu, la hideur des races !

Sa respiration lui soulève les côtes à les briser, et il tord ses poings. Hébé en pleurs lui présente une coupe. Il la saisit.

Non ! non ! Tant qu’il y aura, n’importe où, une tête enfermant la pensée, qui haïsse le désordre et conçoive la Loi, l’esprit de Jupiter vivra !

Mais la coupe est vide.
Il la penche lentement sur l’ongle de son doigt.

Plus une goutte ! Quand l’ambroisie défaille, les Immortels s’en vont !

Elle glisse de ses mains ; et il s’appuie contre une colonne, se sentant mourir.