Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/165

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englouti la terre sous le Déluge ! C’est moi qui ai noyé Pharaon, avec les princes fils de rois, les chariots de guerre et les cochers.

Dieu jaloux, j’exécrais les autres dieux. J’ai broyé les impurs ; j’ai abattu les superbes ; — et ma désolation courait de droite et de gauche, comme un dromadaire qui est lâché dans un champ de maïs.

Pour délivrer Israël, je choisissais les simples. Des anges aux ailes de flamme leur parlaient dans les buissons.

Parfumées de nard, de cinnamome et de myrrhe, avec des robes transparentes et des chaussures à talon haut, des femmes d’un cœur intrépide allaient égorger les capitaines. Le vent qui passait emportait les prophètes.

J’avais gravé ma loi sur des tables de pierre. Elle enfermait mon peuple comme dans une citadelle. C’était mon peuple. J’étais son Dieu ! La terre était à moi, les hommes à moi, avec leurs pensées, leurs œuvres, leurs outils de labourage et leur postérité.

Mon arche reposait dans un triple sanctuaire, derrière des courtines de pourpre et des candélabres allumés. J’avais, pour me servir, toute une tribu qui balançait des encensoirs, et le grand prêtre en robe d’hyacinthe, portant sur sa poitrine des pierres précieuses, disposées dans un ordre symétrique.

Malheur ! malheur ! Le Saint-des-Saints s’est ouvert, le voile s’est déchiré, les parfums de l’holocauste se sont perdus à tous les vents. Le chacal piaule dans les sépulcres ; mon temple est détruit, mon peuple est dispersé !