Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/179

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la poussière d’un encensoir ; au coucher du soleil, des fleurs de feu s’épanouissaient sur la croix ; — et au milieu de la nuit, souvent il m’a semblé que tous les êtres et toutes les choses, recueillis dans le même silence, adoraient avec moi le Seigneur. Ô charme des oraisons, félicités de l’extase, présents du ciel, qu’êtes-vous devenus !

Je me rappelle un voyage que j’ai fait avec Ammon, à la recherche d’une solitude pour établir des monastères. C’était le dernier soir ; et nous pressions nos pas, en murmurant des hymnes, côte à côte, sans parler. À mesure que le soleil s’abaissait, les deux ombres de nos corps s’allongeaient comme deux obélisques grandissant toujours et qui auraient marché devant nous. Avec les morceaux de nos bâtons, çà et là nous plantions des croix pour marquer la place d’une cellule. La nuit fut lente à venir ; et des ondes noires se répandaient sur la terre qu’une immense couleur rose occupait encore le ciel.

Quand j’étais un enfant, je m’amusais avec des cailloux à construire des ermitages. Ma mère, près de moi, me regardait.

Elle m’aura maudit pour mon abandon, en arrachant à pleines mains ses cheveux blancs. Et son cadavre est resté étendu au milieu de la cabane, sous le toit de roseaux, entre les murs qui tombent. Par un trou, une hyène en reniflant, avance la gueule !… Horreur ! horreur !

Il sanglote.

Non, Ammonaria ne l’aura pas quittée !

Où est-elle maintenant, Ammonaria ?

Peut-être qu’au fond d’une étuve elle retire ses