Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/190

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le sphinx.

Tous ceux que le désir de Dieu tourmente, je les ai dévorés.

Les plus forts, pour gravir jusqu’à mon front royal, montent aux stries de mes bandelettes comme sur les marches d’un escalier. La lassitude les prend ; et ils tombent d’eux-mêmes à la renverse.

Antoine commence à trembler.
Il n’est plus devant sa cabane, mais dans le désert, — ayant à ses côtés ces deux bêtes monstrueuses, dont la gueule lui effleure l’épaule.
le sphinx.

Ô Fantaisie, emporte-moi sur tes ailes pour désennuyer ma tristesse !

la chimère.

Ô Inconnu, je suis amoureuse de tes yeux ! Comme une hyène en chaleur je tourne autour de toi, sollicitant les fécondations dont le besoin me dévore.

Ouvre la gueule, lève tes pieds, monte sur mon dos !

le sphinx.

Mes pieds, depuis qu’ils sont à plat, ne peuvent plus se relever. Le lichen, comme une dartre, a poussé sur ma gueule. À force de songer, je n’ai plus rien à dire.

la chimère.

Tu mens, sphinx hypocrite ! D’où vient toujours que tu m’appelles et me renies ?