Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les sciapodes.

Retenus à la terre par nos chevelures, longues comme des lianes, nous végétons à l’abri de nos pieds, larges comme des parasols ; et la lumière nous arrive à travers l’épaisseur de nos talons. Point de dérangement et point de travail ! — La tête le plus bas possible, c’est le secret du bonheur !

Leurs cuisses levées ressemblant à des troncs d’arbres, se multiplient.
Et une forêt paraît. De grands singes y courent à quatre pattes ; ce sont des hommes à tête de chien.
les cynocéphales.

Nous sautons de branche en branche pour super les œufs, et nous plumons les oisillons ; puis nous mettons leurs nids sur nos têtes, en guise de bonnets.

Nous ne manquons pas d’arracher les pis des vaches, et nous crevons les yeux des lynx, nous fientons du haut des arbres, nous étalons notre turpitude en plein soleil.

Lacérant les fleurs, broyant les fruits, troublant les sources, violant les femmes, nous sommes les maîtres, — par la force de nos bras et la férocité de notre cœur.

Hardi, compagnons ! Faites claquer vos mâchoires !

Du sang et du lait coulent de leurs babines. La pluie ruisselle sur leurs dos velus.
Antoine hume la fraîcheur des feuilles vertes.
Elles s’agitent, les branches s’entre-choquent ; et tout