Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/199

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comme des enfants ou ricanent comme de vieilles femmes.
Un air salin le frappe aux narines. Une plage maintenant est devant lui.
Au loin des jets d’eau s’élèvent, lancés par des baleines ; et du fond de l’horizon
les bêtes de la mer
rondes comme des outres, plates comme des lames, dentelées comme des scies, s’avancent en se traînant sur le sable.

Tu vas venir avec nous, dans nos immensités où personne encore n’est descendu !

Des peuples divers habitent les pays de l’Océan. Les uns sont au séjour des tempêtes ; d’autres nagent en plein dans la transparence des ondes froides, broutent comme des bœufs les plaines de corail, aspirent par leur trompe le reflux des marées, ou portent sur leurs épaules le poids des sources de la mer.

Des phosphorescences brillent à la moustache des phoques, aux écailles des poissons. Des oursins tournent comme des roues, des cornes d’Ammon se déroulent comme des câbles, des huîtres font crier leurs charnières, des polypes déploient leurs tentacules, des méduses frémissent pareilles à des boules de cristal, des éponges flottent, des anémones crachent de l’eau ; des mousses, des varechs ont poussé.
Et toutes sortes de plantes s’étendent en rameaux, se tordent en vrilles, s’allongent en pointes, s’arrondissent en éventail. Des courges ont l’air de seins, des lianes s’enlacent comme des serpents.
Les Dedaïms de Babylone, qui sont des arbres, ont pour fruits des têtes humaines ; des Mandragores chantent, la racine Baaras court dans l’herbe.