Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces seins, où repose l’amour, ce ventre lisse, ce dos ployant, tout ce corps si beau, il se tordra dans le cilice raide qui, plus immobile que ton visage, ô solitaire ! ne montre pas non plus les douleurs qu’il recouvre… Mais elle n’ose encore, elle frémit, elle prend la chaînette d’or à pointes crochues, elle la fait tourner sur son pouce, le sang part, il voltige en pluie légère et des gouttes épaisses coulent sur sa poitrine, comme des perles rouges ; ses genoux s’entrechoquent, ses yeux pâlissent, sa tête s’en va, elle tombe sur ses coussins, elle se pâme, elle t’appelle…

antoine.

Où donc ? où donc ?

le cochon
se frottant le ventre contre terre.

Où est-elle la femelle en chaleur qui court par les bois ? je la flaire, je geins, je crie, je gueule, mes narines la sentent, mes yeux ne la voient point ; à l’ombre, au pied d’un chêne, dans la boue, je veux sur ses reins tièdes me vautrer jusqu’à l’aurore.

Le cochon court en rond comme un furieux, reniflant, grognant, hurlant et se frottant le ventre à tout ce qu’il rencontre.
Les formes vagues du fond, à peine entrevues jusqu’à présent, commencent à se discerner dans la brume, mais telles que des ombres chinoises à travers un transparent, plates, sans relief ni couleur. Ce sont les sept Péchés capitaux, Envie, Avarice, Luxure, Colère, Gourmandise, Paresse, Orgueil, et une huitième ombre plus petite, la Logique.
À mesure que l’une d’elles s’est un peu avancée pour parler, elle rentre ensuite avec les autres, qui se tiennent toutes ensemble au fond à droite, du côté de la cabane du saint.
Le cochon cependant se roule et pousse des cris.
antoine.
ébahi le considère.

Quelle herbe a-t-il donc prise pour baver comme il fait ? sa queue est droite, il bombe son dos. — Tu souffres donc aussi, toi ! D’ordinaire cependant tu es tranquille, et le matin ce sont tes grognements pacifiques qui m’éveillent, quand tu grattes à la porte pour avoir à manger.

l’envie.

D’autres, à la même heure, entendent à leurs côtés les cris joyeux d’un petit enfant.