Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/234

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charbonnier ? Finirais-tu comme Denis ? Tu es plus illustre qu’Eusèbe et plus chaste qu’Origène.

antoine.

Mais je ne pourrais pas parler aux conciles, la présence de tous ces grands docteurs m’effrayerait, moi qui parfois éprouve dans ma conscience des embarras infinis à discerner ce qui est juste.

la logique.

Aussi tu pèches souvent, faute de conseil.

la paresse.

Que n’es-tu resté chez les moines, quand tu as été leur rendre visite ? Que n’as-tu confié ton âme à quelque bon directeur, qui aurait pris sur la sienne de la conduire à Dieu ? La cloche d’elle-même t’eût dit les heures du repos, de la prière et du sommeil.

la logique.

Étant astreint à une règle, tu aurais certainement fait ton salut.

l’avarice.

Et tu n’aurais manqué de rien, sans t’inquiéter de quoi que ce soit.

la paresse.

Assis à l’ombre des arcades, sur le banc, dans le cloître, tu aurais causé avec les novices, ou roulé ton chapelet ; c’est toi peut-être qui eût lavé les pavés du sanctuaire, et, pour y mettre de l’huile, tiré par leur chaînette d’argent les lampes suspendues qui remontent et se balancent. Dans les longs après-midi, tu aurais entendu de ta cellule le bruit lointain des moissonneurs, ou à ton aise, par la lucarne ouverte, regardé dans le jardin les orties grandir au pied des murs, et sur la feuille lustrée des choux se traîner les limaçons.

la gourmandise.

Au réfectoire, à table, entre tes frères, tu aurais vu la file des petits pains alignés avec les gobelets d’étain.

la luxure.

Et au parloir, par la claire-voie, les filles de la campagne apportant