Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/269

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derrière les oreilles et noués par une vipère qui fait deux tours à leur cou et laisse retomber sa tête sur leurs épaules ; ils brandissent des épées en criant d’une voix forte :

Gloire à Caïn ! gloire à Sodome ! gloire à Coré, à Dathan et à Abiron ! gloire à Judas !

C’est par la volonté de Dieu que Caïn versa le sang, que Sodome violait les anges, que Coré et ses compagnons se révoltèrent contre Moïse, que Judas vendit le Seigneur ; Dieu le savait d’avance et les laissa faire, il le voulait donc.

Caïn créa la race des forts, Sodome épouvanta la terre de son châtiment, Coré assura le sacerdoce dans la famille d’Aaron, et Judas fut cause que Jésus sauva le monde.

Réhabilitons les maudits, adorons les exécrés ; plus qu’Abraham et que Salomon, plus que saint Paul et que tous les saints, Judas a travaillé pour ton âme et s’est damné pour elle.

Gloire à Caïn ! gloire à Sodome ! gloire à Coré, à Dathan et à Abiron ! gloire à Judas ! gloire à Judas ! oui, Antoine, gloire à Judas !

Cerné à droite et à gauche par les Elxaïtes et les Caïnites, Antoine pour fuir court vers le fond, mais du fond sortent
les nicolaïtes.
Hommes et femmes, grandes robes de mousseline fendues par devant, flottantes et à longues manches ; ils ont les cheveux tressés sur les tempes, les yeux peints, les joues fardées ; bracelets d’or aux pieds et aux poignets, pendants d’oreilles de diamants, colliers de grelots, sandales jaunes.

Chaque action dépend de l’ange inconnu qui la dirige, et la vie de l’home n’est que le résultat de toutes ces volontés supérieures, qui se superposent ou se contrarient.

Quand le corps aura tourné dans les péripéties du bien et du mal, il s’arrêtera, et, quoi qu’en disent les Galiléens, jamais ne reprendra son mouvement.

Mais notre âme éternelle, qui conçoit le Bon et le Mauvais, ira se justifier à la grande Âme de tout ce qui, l’ayant remuée ici-bas, a d’un même tressaillement troublé cet infini d’où elle procède. C’est le corps qui nous gêne, il agite l’esprit.

La volonté, en effet, n’arrête pas le sang, ne remplit pas la bouche, et ses résolutions s’écroulent sous la chair, qui la bat à coups redoublés comme fait le bélier d’airain aux murs des citadelles. Tu t’abstiens de l’action, tu te gardes du péché, tu flagelles ton corps, mais tu te livres à la pensée, tu nourris le désir et tu caresses la convoitise.

Mais n’est-ce pas dans la pensée que siège le mal ? n’est-ce pas le désir qui fait la faute ? et la convoitise même qui est le péché ?