Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/273

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est ta souffrance. N’es-tu pas fatigué du corps qui pèse sur ton âme et qui la courbe comme un cachot trop étroit ? Démolis donc ta chair, fais-y de large ouvertures pour qu’y descende l’air du ciel.

Viens avec nous, imite-nous ! Nous avons six fois par lune des jeûnes entiers, nous observons trois carêmes, nous nous abstenons de bain, d’étoffes bigarrées, d’odeurs et de tout ce qui a suc ou sang dans la nourriture que nous prenons ; nous baptisons les morts, nous voilons les vierges, nous refusons la communion au criminel agonisant, et nous proscrivons les seconds mariages.

les tatiens
rasés, tondus, nu-tête, enfermés dans des sac noirs.

Nous les proscrivons tous !

Pensez-vous plaire au Saint-Esprit en perpétuant par la chair la malédiction de la chair ?

L’arbre de l’Éden qui portait chaque année douze fruits rouges comme du sang, c’est la femme ; celui qui dort à son ombre ne se réveillera que dans l’enfer.

… Ils s’en retournent forniquer tout en paix dans la sécurité de leur sottise, ils disent qu’à deux ils en chérissent mieux le Seigneur, qu’ils élèvent des fidèles pour le servir ; comme si ce n’était pas eux qu’ils chérissent avant toute chose ! comme s’ils ne reniaient pas l’esprit en sacrifiant à la chair ! comme si le Seigneur, autour duquel dansent les soleils, avait besoin pour qu’on l’adorât, de l’auxiliaire permanent des enfantements de leurs corps ! Où est-il l’insensé qui a permis aux fils de Jésus de faire leur salut dans le mariage ?

Celui-là n’avait donc jamais posé sa tête sur le sein d’une fille d’Ève ? Il ne s’était pas senti dans l’amour d’elle dissoudre avec lenteur, comme une petite plante qui se pourrit sous la pluie chaude de l’orage ? il n’avait pas éprouvé dans sa main cette main qui sue la mollesse, ni tressailli d’épouvante à ce regard qui fond les enthousiasmes et asphyxie la pensée ?

La prière, qui doit monter à Dieu ardente et droite comme la flamme des grands cierges, toujours vacille et s’éteint sous le souffle de la femme ; d’elle-même, sans le vouloir, elle dénigre l’esprit et toujours rabaisse à son usage les aspirations qui la dépassent. Quand elle implore à genoux la béatitude éternelle, ce n’est que pour la partager avec l’homme de son cœur, et elle la rêve toute remplie par les intarissables épanchements à leur mutuelle ivresse. Non ! non ! jamais l’époux ne dévêtit l’épouse pour en couvrir le pauvre, ni n’ordonne à ses fils de serrer leurs coudes à table pour faire place à l’étranger. Y en a-t-il qui désertent la maison pour l’arène ? devant les idoles les meilleurs