Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/277

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coupantes comme des poignards qui faisaient saigner mon cœur et le dégorgeaient.

Je sentis près de moi quelqu’un, c’était l’époux, il disait : « Oh ! laisse-le ! laisse-le ! » j’écoutais l’autre, il se rapprocha plus près, et il reprit, à deux genoux : « Est-ce que tu m’abandonnes ? » et je répondis : « Oui, va-t’en ».

priscilla et maximilla
ensemble.

Le Père domine, le Fils pâtit, l’Esprit flamboie, le Paraclet est à nous, l’Esprit est en nous, car nous sommes les amantes du grand Montanus. Nous prophétisons sur les ponts, sur les chemins, dans les halliers, dans les déserts, sur les places publiques, dans les églises.

Là-bas la couche est vide, l’époux a gémi, les enfants ont pleuré, le soir, en nous demandant, et les valets en liberté ont été voler le vin dans les celliers.

Maintenant sans doute la concubine a dormi dans la couche, l’époux est mort, les enfants ont oublié et les valets, comme des renards, ont ravagé toute la maison. Qu’importe ! sommes-nous des femmes ? De quel amour, ô maître, t’adorent tes servantes ! toi, beau Montanus, première des créatures, fils de la Trinité sainte, séjour même de la grâce !

montanus.

Quand vous passez, on dit : Voilà donc ces deux femmes qui ont quitté tout pour suivre Montanus !

Ce n’est pas lui, mais quelque chose de supérieur qui réside en sa personne. Car je ne suis pas un homme, moi, vous le savez, n’est-ce pas, vous qui languissez d’ardeur sur ma poitrine imberbe.

Vous êtes, ô mes chéries, la Pénitence dans la matière, l’inassouvissable désir, l’âme pure.

Le Saint-Esprit, qui est moi, a effacé en vous la chair immonde ; elle n’est plus, puisque vous jouissez dans la douleur et que vous souffrez par la vie comme par une blessure. Le monde se trouble, votre exemple fait accourir les femmes à moi, les femmes riches qui deviennent délirantes comme vous, à cause de cet amour qui n’a pas de nom sur la terre.

Gardez sous vos tuniques de deuil la pourpre que vous portiez chez vos maris, cachez votre chevelure longue qui se déroule le soir comme un fleuve, priez, pleurez, sanglotez, pâmez-vous, aimez-moi ; je veux que vos yeux soient pâles comme un manteau d’azur qui a déteint au grand soleil ; appelez-moi pour vous coucher sur les chevalets, montrez-moi les ampoules roses faites par