Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/318

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II

Saint Antoine est dans la chapelle, entre la Foi, l’Espérance et la Charité.
Les Péchés capitaux sont restés dans leurs attitudes précédentes.
On entend un grand rire, le Diable paraît, terrible et hideux de fureur, tel que le moyen âge l’a rêvé. Un épais poil roux couvre son corps sec et nu, ses grands bras sont terminés par des griffes, à son dos s’agitent des ailes de chauve-souris ; sa tête, au front démesuré, garnie de cornes, s’allonge par le bas en façon de porc et de tigre ; son nez camus se dilate sur sa face, de ses yeux semblent sortir des flammes.
À son arrivée, l’Orgueil se redresse plus haut, l’Envie siffle plus fort, la Luxure se dandine sur ses reins, l’Avarice lève la tête, la Colère hurle, la Gourmandise fait claquer ses dents, la Paresse gémit.
le diable.

C’est moi !

Qu’avez-vous fait ? vous êtes donc plus faibles que des vertus, et sottes comme idées ?

Ah ! je vous enfermerai dans la Géhenne et je vous fouetterai avec les cupidités d’un autre monde, pour ranimer vos forces éteintes. À quoi me sert-il, vraiment, de vous nourrir toutes du plus profond de mon être, et travaillant comme un dieu qui crée, d’arranger les hasards d’ici-bas, selon la fantaisie de vos exigences ?

L’âme humaine, à qui j’ai donné des bras plus nombreux que ceux des polypes des mers, a-t-elle donc, tout à coup, reployant sur elle les dilatations qui l’agrandissent, perdu l’amour de vos caresses avec cette éternelle inquiétude qui la pousse à les chercher ? N’y a-t-il plus sur les arbres de fruits rouges qui pendent,