Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/327

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Si j’avais, pour palper, des mains sur tout mon corps ! si j’avais, pour baiser, des lèvres au bout des doigts !

À ce moment l’Orgueil, restée immobile et dans sa fière posture, devant la chapelle, fait une grimace horrible et resserre son manteau sur sa poitrine. Le serpent qu’elle y tient caché dépasse la tête et la mord au menton ; elle pousse un cri auquel répond un rire du Diable, elle chancelle.
les péchés
se retournant vers elle.

Qu’as-tu ? tu chancelles ? tu pâlis ?

l’orgueil.

Non !

l’envie.

Oui ! Ce n’est rien, n’y prenez garde.

les péchés.

Tu vas tomber… on dirait que tu souffres.

l’orgueil
se raffermissant.

Je n’ai rien, vous dis-je ! laissez-moi !… Non… Que me manque-t-il ? je suis saine, robuste, heureuse, forte, grande.

Entre ses dents.

Moi, me plaindre ! Me plaindre !

le diable
en souriant.

Doucement là ! là ! ne criez pas si fort ! ce besoin qui vous opprime n’est que l’essence du mal enfermé en vos natures et qui essaie à monter toujours plus haut pour devenir plus grand. Ah ! je me reconnais bien là ! vous avez de mon sang, filles de ma souffrance !

Je suis le prince des Cupidités du monde ; vous, vous êtes les Cupidités du monde, qui l’attirez à moi, et me le placez dans les mains ; mais vos divergences me gênent, car au milieu de forces contraires l’âme tiraillée reste immobile sans tomber d’aucun côté. Travaillez toutes ensemble, aidez-vous plutôt, cachez-vous