Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvelles, et il aura un désespoir atroce, des déchirements de convoitise, des rages d’ennui. Qu’il passe des langueurs de la Paresse dans les convulsions de la Colère ! qu’il tressaille affamé à des banquets splendides s’illuminant tout à coup ! qu’il se traîne en rut sur les planches de sa cabane ! qu’il se compare aux heureux et qu’il jalouse la terre entière ! qu’il s’exalte dans sa pénitence et qu’il éclate d’orgueil ! qu’il soit à vous ! qu’il soit à moi ! Allez ! convoquez les démons vos fils et vos petits-fils, appelez le rêve, le cauchemar, le désir, les fièvres de l’âme, les fantaisies délirantes, et les vastes amertumes !

Mais puisqu’à présent il se console avec les Vertus, laissons-le préparer lui-même le dégoût qu’il en aura, quand nous reviendrons ; car je serai là, entendez-vous, et je vous surveillerai d’importance.

Venez un peu vous reposer sous mes ailes et serrez-vous contre moi.

Satan se recule au fond de la scène et déploie ses grandes ailes livides, qui s’étendent en rond comme deux éventails verts. À mesure qu’il parle, les Péchés se groupent autour de lui, chacun dans l’attitude ordonnée.

Allons, Paresse, que je me pose sur toi, tu es le coussin du Diable ; Luxure, sur mes genoux ; Envie, couche-toi là que je pose mes pieds sur ta poitrine ; Gourmandise et Avarice, ici, bien, à mes deux flancs ; Colère, tu feras du vent avec tes bras, pour me rafraîchir le visage ; toi, Orgueil, debout, derrière moi… plus près… Attends que je détourne un peu la tête,… baise-moi, je t’aime !

Assis sur la Paresse et entouré des Péchés, le Diable se retourne pour embrasser l’Orgueil, qui, placée derrière lui, passe sa figure sur son épaule.
On voit dans l’intérieur de la chapelle la Foi, l’Espérance et la Charité qui consolent saint Antoine et le caressent de la main, comme un petit enfant.
antoine.

Oh ! qu’elles m’ont fait souffrir !

la charité.

Elles t’ont fait souffrir, pauvre âme !

antoine.

J’en tremble encore… Reviendront-elles ?