Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/345

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ce qui est au delà, tandis qu’au contraire tu te bats les flancs pour le dessiner, le colorer, le préciser, et du mieux qu’il t’est possible le rapprocher de toi afin d’en jouir déjà.

Appuyée sur la Foi, qui est une certitude et comme un œil par lequel tu contemples, tu es sûre, convaincue, tu touches, tu as. Tu n’espères pas, tu possèdes.

Mais espérer, c’est douter avec amour, c’est désirer qu’une chose arrive et ne pas savoir si elle viendra. Toi, tu sais qu’elle viendra, tu ne doutes pas qu’elle n’arrive. Doutes-tu ? crois-tu ? jouis-tu de Dieu, ou languis-tu après lui ? mais, si tu le désires, tu ne l’as donc pas ? si tu l’as, tu ne le désires plus ; et tu te surcharges de la Foi, tu te courbes sous l’exclusion du dogme, tu vas t’enfermant dans les formules, dans les gestes convenus, dans la niaiserie étroite, dans la petite bêtise sainte.

Qu’êtes-vous donc ? vous servez à tout, vous êtes à tous… Vous ne voulez rien dire ? Eh, les payens aussi ont leur foi, les démons croient comme les anges, les hérétiques sont pleins de charité, les pécheurs sont remplis d’espérance, car ils comptent que Dieu ne les verra pas, ou qu’il leur pardonnera, ou qu’ils se repentiront. Ainsi plaçant toujours l’absolution derrière la faute, et, à cause de l’espérance, se renforçant dans le péché, ils courent à la perdition en compagnie de cette chère vertu.

les vertus.

C’est la Foi perverse, la fausse Charité, la mauvaise Espérance.

la logique.

Il y a donc plusieurs natures d’espérances, plusieurs sortes de charités, diverses essences de foi ? où est la chaste luxure ? l’orgueil modeste ? la douce colère ? la charitable envie ?

les péchés.

Allons ! chassons-les.

les vertus.

Arrière !

antoine.

Sauvez-moi !

les péchés.

Ah ! la Foi nous regarde avec ses grands yeux fixes.