Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/374

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T’ont-ils conté ce qu’ils rêvaient, les adolescents pensifs ?

L’épouse se relève nu-pieds et s’avance à tâtons dans le couloir obscur ; sa chemise, humide de la moiteur de son corps, agite en passant la flamme de la veilleuse ; frissonnante elle sourit, et le doigt sur la bouche fait signe qu’elle a peur de l’enfant qui se retourne en son berceau.

Je me délecte dans la suavité des perfidies ignorées. À moi les enlacements émus, les grands baisers au clair de lune, et les belles fuites à travers champs, avec des galops fous, du vent dans les manteaux et les étreintes qui n’en finissent pas ! je possède aussi les frénésies qui trament le crime, les philtres, les suicides et les lâches poisons versés par des mains douces.

la femme au bandeau dénoué
frappe dans ses mains et crie :

Je suis la Fornication. Les fourmilières grouillent d’amour, la femelle du léopard piaule dans les bambous, et la rauque prostituée chante à voix basse des mots impurs sur le seuil de sa maison. C’est l’heure où s’allument les lampes, que balance au plafond le vent chaud des nuits d’été. Voilà que se défont les vêtements et que les femmes nues s’étalent sur les grands lits. Déroule ma chevelure, tu verras comme elle est longue ! J’ai la taille mince, le flanc large ; mieux que l’acier bondit mon jarret souple, et je fais craquer mes os quand je me renverse sur les hanches. À mon chevet fume la coupe des enchantements, dont il suffit d’avoir bu pour n’en pas perdre le goût ; je me sers des parfums qui mettent en amour, et les rouges phallus se dressent dans ma main. Viens dans les bois sacrés, pleins des senteurs du mélèze ! Nous nous coucherons au soleil, nous roulerons notre délire au pied des idoles peintes.

la femme crépue
se traîne sur sa croupe.

Je suis l’Immondicité, la déesse des caprices obscènes et des accouplements bestialitaires.

J’ai vu dans les villes des femmes pâles qui languissaient pour d’autres femmes, des enfants tout en pleurs parmi la caresse des vieillards, et des jeunes hommes qui marchaient comme des filles et qui souriaient au coin des rues. Ce qu’il me faut, c’est la porte bien close, pour accomplir en paix les lubricités taciturnes ; j’aime la bouffissure des tissus, les exagérations d’organes, les hermaphrodismes monstrueux, la sueur aigre, les dégoûts irritants.

Au delà des voluptés gît la Volupté ! Il est large le cercle des