Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/381

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le pasteur.

Il doit y avoir par là quelque ancienne citerne abandonnée, nous nous mettrons dedans, nous serons bien.

la femme.

Tu es sot comme un enfant, pasteur à barbe longue !

le pasteur
riant.

Quelle joyeuse fille tu fais, toi ! je voudrais bien voir ta figure ! Qu’est-ce que j’aurai à baiser si tu gardes ton voile ?

la femme.

Tu mettras ta bouche sur mon cou, et tu baiseras mon sein nu ; il est dur comme une grenade et blanc comme la lune.

le pasteur.

Je vais défaire mon manteau pour l’étendre sous toi.

la femme.

Non, l’herbe est douce, tu le rouleras comme un oreiller pour le mettre sous ma tête.

Elle s’accouve, sa robe qui bouffe tout autour d’elle s’accroche par la frange aux épines, le pasteur jette son manteau, elle s’y couche sur le dos, le pasteur s’abaisse sur elle.
On ne les voit plus.
Un côté du ciel blanchit, la nuit vient, et les montagnes disparaissent dans la vapeur qui monte des gorges et couvre la campagne d’une teinte laiteuse étalée. L’air est humide, on dirait qu’il pleut, le gazon semble vert ; un coteau se découvre à la lueur oblique de la lune qui élargit lentement sur les ténèbres sa lumière nacrée.
L’écho vous apporte des bruits vagues, comme seraient des aboiements venus du fond des bois ; ils se suivent, se prolongent, faibles d’abord, puis saccadés, joyeux, et, sur cette vaste rumeur de temps à autre clapotent des voix claires, tel parmi les flots un flot qui saute ; cela s’accroît, se dissémine, se répète. C’est sans doute, au loin, une chasse sur la bruyère, après le cerf haletant perdu dans le brouillard et qui s’arrête immobile à écouter tous ces cris venir à lui parmi les herbes ; puis cela passe, s’affaiblit, s’en va.
Tout à coup, dévale au galop sur le penchant de la côte une