Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/438

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qui se faisaient, au clair de lune, porter près des fontaines ? Elles avaient des tapis, des éventails, des esclaves, des musiques amoureuses jouant tout à coup derrière les murs ; elles avaient des dents brillantes qui mordaient à même dans les grenades, et des vêtements lâches qui embaumaient l’air autour d’elles. Où sont-ils donc les forts jeunes hommes qui couraient si bien, qui riaient si haut, qui avaient la barbe noire et l’œil ardent ? Où sont leurs boucliers polis, leurs chevaux qui piaffaient, leurs chiens de chasse rapides qui bondissaient dans les bruyères ? Qu’est devenue la cire des torches qui éclairaient leurs festins ?

Oh ! comme il en a passé de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants et de ces vieillards aussi ! Il y a de grands déserts, où la perdrix rouge, maintenant, ne trouverait pas à manger, et qui ont contenu des capitales. Les chars roulaient, on criait sur les places ; je me suis assise sur les temples, ils ont croulé ! de l’épaule, en passant, j’ai renversé les obélisques ; à coups de fouet, j’ai chassé devant moi, comme des chèvres, les générations effarées.

Plus d’un couple d’amis a causé de moi bien souvent, seuls, près du foyer, dont ils remuaient les cendres, tout en se demandant ce qu’ils deviendraient plus tard ; mais celui qui s’en est allé ne revient point pour dire à l’autre s’ils s’étaient trompés jadis, et, quand ils se retrouveront dans le néant, rien d’eux ne se reconnaîtra, pas plus que ne se rejoindront les parties du morceau de bois qu’ils regardaient brûler.

la luxure.

Qu’importe ! j’ai fait pousser des marguerites sur leurs tombeaux, je perpétue de ma semence l’éternelle floraison des choses, et je penche sur ta tête les arbres tout chargés qui ont pompé leurs sucs dans les entrailles des morts.

C’est ma flamme qui scintille dans les prunelles, c’est mon nom que murmurent les feuillages, c’est mon haleine qui s’abat des cieux dans les langueurs du soir. À quoi servent les colliers d’ambre ? quel est le but des regards ? le mot toujours murmuré, la chose dont on rougit et que l’on convoite sans rien dire.

Elles marchent toutes deux de plus en plus vite, en criant de plus en plus haut.
la mort
ricanant.

Ils voudraient pourtant se persuader que je ne suis pas ; afin de se défendre du néant, ils amassent les raisonnements : « Pour la matière, passe encore ! mais l’âme ? Oh ! non ! prouvons-nous qu’elle ne peut périr. Voyons ! partons d’un principe : ça nous