Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/464

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puis ni bouger, ni me coucher sur le rivage, ni courir dans les plaines.

On m’a renfermé dans les ports, on m’a serré les côtes avec des digues de pierre, et mes pauvres dauphins jusqu’au dernier se sont pourris au fond des eaux.

Autrefois j’envahissais la campagne, je faisais trembler la terre, j’étais le Mugissant, l’Inondateur, et la Fortune s’invoquait dans tous mes sacrifices ; j’étais terrible de profondeurs inconnues ; dans le brouillard de l’horizon j’avais des pays lointains qu’il ne fallait pas voir, des monstres couronnés de vipères jappaient jour et nuit sur mes récifs pointus ; les rochers se refermaient sur vous comme des pattes de crabes, et des gouffres pleins d’écume aspiraient les flottes ; on ne passait pas les détroits, on avait risque de faire naufrage en doublant les îles.

À chaque flot le pilote attentif retenait son haleine, les rames à large palette coupaient avec effort l’onde noire, qui roulait dans les abîmes le navire épouvanté ; les antennes criaient, la voile abandonnée tournait dans l’aquilon, c’était la grêle et les éclairs ! C’était Éole et tous les vents ! c’était la mort affreuse qui sifflait dans les cordages !

la mort.

C’est pour toi qu’elle siffle.

neptune.

Heureux qui pouvait un jour tirer encore sur le sable sa galère désarmée, revoir son vieux père, et dans l’âtre domestique accrocher au sec le gouvernail de ses voyages !

J’avais aussi les Néréides aux cheveux verts, les Syrènes à voix d’argent, les Tritons à longue barbe qui soufflaient dans leurs conques, tout un peuple écaillé, des palais, des grottes, des coquilles à foison ; j’avais des retraites de cristal festonnées de feuillages, des poissons d’azur qui portaient des enfants, et des prairies de grandes herbes où je tenais ma cour !

la mort.

Passe ! passe !

hercule
le corps ruisselant de sueur ; il dépose par terre sa massue, et s’essuie la figure avec la peau du lion de Némée, dont la gueule lui pend sur l’épaule.

Ah !

Il reste quelque temps sans pouvoir rien dire tant il est essoufflé.