Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/470

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de paillettes, dans un char de pierre qui est couleur de vin, traîné par deux lions crépus qui ont tous deux la patte levée. Les paysans se pressent pour voir, l’homme qui danse tourne toujours, celui qui bat du tambourin frappe plus fort, l’Archi-Galle continue :

Son temple est bâti sur le gouffre par où se sont précipitées les eaux du déluge qui finissait ; il y a des portes d’or, un plafond d’or, des lambris d’or, des statues d’or ; Apollon y est, Mercure, Ilythia, Atlas, Hélène, Hécube, Pâris, Achille et Alexandre ; des ours apprivoisés, des aigles, des chevaux et des colombes marchent ensemble dans son enceinte, sur les dalles de sa cour humides de la pluie du jet d’eau, qui s’élance jusqu’au toit, par des tuyaux d’argent. À son grand arbre qui brûle, on accroche des brebis toutes vivantes, des vases de toute espèce, des tuniques et des coffrets ; on précipite du haut de son vestibule des taureaux blancs, et c’est pour elle qu’est dressé tout droit le phallus de cent vingt coudées où l’on grimpe avec des cordes, comme au tronc d’un palmier quand on va cueillir les dattes. Sept jours et sept nuits il faut s’y tenir debout, sans jamais dormir.

Ils prennent leurs fouets et s’en donnent de grands coups dans le dos, en cadence.

Frappez du tambourin ! sonnez des cymbales claires ! soufflez à pleine poitrine dans les flûtes à larges trous !

Elle aime les parfums de l’Arabie, le poivre noir que l’on va chercher dans les déserts ; elle aime la fleur de l’amandier, la grenade et les figues vertes, les bracelets d’ivoire, les lèvres rouges et les regards lascifs ; il lui faut les beuglements prolongés, et, dans les villes pleines de flambeaux, les orgies retentissantes ; elle aime la sève sucrée, la larme salée, le sperme gras ! Du sang ! À toi ! à toi ! Mère des montagnes !

Ils se tailladent les bras avec leurs poignards, leur dos résonne comme des boîtes creuses, on entend râler leurs poitrines, leurs yeux roulent et se ferment, des sourires obscènes passent sur leur figure livide, la musique redouble, les offrandes tombent dans les paniers, la foule s’accroît.
Des hommes vêtus en femmes et des femmes en habits d’hommes se poursuivent en poussant de grands éclats de voix qui ressemblent à des rires ou à des sanglots ; leurs robes jaunes transparentes sont collées sur leur bas-ventre par des plaques de sang caillé, et à travers le tissu mince on le voit qui coule en filets rouges sur les rondes cuisses blanches. Les femmes ont les cheveux mouillés comme si elles sortaient du bain, et les hommes n’ont pas de poil sur la poitrine. On entend au loin l’accord des flûtes d’ivoire avec des bruits de baisers, des chuchotements et des soupirs mêlés à des chœurs de voix molles, qui se bercent dans les airs comme une brise paresseuse sur les golfes tièdes.