Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/498

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prierai, j’achèverai ces corbeilles que je livre à des pasteurs pour qu’ils m’apportent du pain. Ensuite je prierai, je me réveillerai… et toujours ainsi ! toujours !

Il soupire.

Ô mon Dieu ! les fleuves s’ennuient-ils à laisser couler leurs ondes ! la mer se fatigue-t-elle de battre ses rivages, et les arbres, quand ils se tordent dans les grand vents, n’ont-ils pas des envies de partir avec les oiseaux qui rasent leurs sommets ?

Il regarde l’ombre de la croix.

Encore la largeur de deux sandales et ce sera le moment de la prière, il le faut !

Une tortue s’avance entre les roches. Antoine la regarde.

Vraiment cet animal est fort joli !…

Puis il s’endort.

Je suis bien fatigué ce soir ! mon cilice me gêne ! comme il est lourd !

Il se détourne et aperçoit l’ombre de la croix qui a dépassé la pierre.

Ah ! misérable ! qu’ai-je fait ? allons ! vite, vite !

Il frappe deux cailloux, enflamme une feuille sèche, et allume la petite lampe qu’il raccroche à la muraille : la nuit est presque venue, il s’agenouille.

Il y a des gens qui prient pour le seul plaisir de prier, qui s’humilient pour s’humilier, mais moi ? est-ce par besoin ou par devoir ?… assez, assez ! plus de ces réflexions !… Salut, Marie, pleine de grâces !… oh ! que je t’aime ! Que n’ai-je pu, dans la poussière de la route, suivre ton long voile bleu flottant, lorsque, au pas cadencé de l’âne voyageur, il se levait derrière toi et disparaissait sous les platanes !…

Antoine s’interrompt, la tortue s’avance, le cochon se réveille.

Cette figure ! c’est comme si jamais je ne l’avais vue ! je voudrais qu’elle fût plus grande…

une voix
presque indistincte, murmure :

Bien haute, n’est-ce pas ?