Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/540

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apollonius.

J’ai, pendant quatre ans de suite, gardé le silence complet des Pythagoriciens. La douleur la plus imprévue ne m’arrachait pas un soupir, et au théâtre, quand j’entrais, on s’écartait de moi, comme d’un fantôme.

damis.

Auriez-vous fait cela, vous ?

apollonius.

Le temps de mon silence accompli, j’entrepris seul d’instruire les prêtres qui avaient perdu la tradition, et je formulai cette prière : « Ô dieux ! »

antoine.

Comment : « dieux«» ?… Les dieux ?… Que dit-il ?

damis.

Laissez-le poursuivre, taisez-vous !

apollonius.

Alors je suis parti pour connaître toutes les religions, pour consulter tous les oracles. J’ai devisé avec les gymnosophistes du Gange, avec les devins de Chaldée, avec les mages de Babylone. Je suis monté sur les quatorze Olympes, j’ai sondé les lacs de Scythie, j’ai mesuré la grandeur du désert.

damis.

C’est pourtant vrai, tout cela. J’y étais, moi !

apollonius.

J’ai d’abord été depuis le Pont jusqu’à la mer d’Hyrcanie, j’en ai fait le tour ; et, par le pays des Baraomates, où est enterré Bucéphale, je suis descendu vers Ninive. Aux portes de la ville, il y avait une statue de femme, vêtue à la mode barbare. Un homme s’approcha.

damis.

Moi ! moi ! mon bon Maître. Oh ! comme je vous aimai tout