Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/644

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partis à tous les vents, par les fentes de la muraille. Dans les sépulcres d’Israël, le vautour du Liban vient abriter sa couvée. Mon temple est détruit, mon peuple est dispersé. On a étranglé les prêtres avec les cordons de leurs habits ; les forts ont péri par le glaive, les femmes sont captives ; les vases sont tous fondus.

C’est ce Dieu de Nazareth qui a passé par la Judée. Comme un tourbillon d’automne, il a entraîné mes serviteurs. Ses apôtres ont des églises, sa mère, sa famille, tous ses amis ; et moi je n’ai pas un temple ! pas une prière pour moi seul ! pas une pierre où soit mon nom ! et le Jourdain aux eaux bourbeuses n’est pas plus triste ni plus abandonné.

La voix s’éloigne.

J’étais le Dieu des armées ! le Seigneur ! le Seigneur Dieu !

La Mort bâille. Antoine est étendu par terre, immobile. La Luxure, le dos appuyé contre la cabane et la jambe droite relevée sur le genou gauche, effiloque le bas de sa robe, dont les brins emportés par le vent voltigent autour du cochon, tombent sur ses paupières et lui chatouillent les narines.
Alors
le diable
allongeant sa griffe sur saint Antoine, crie :

Ils sont passés !

la logique.

Eh bien, puisqu’ils…

Antoine rouvre les yeux.

… puisqu’ils sont passés, le tien…

antoine
se relève, saisit un caillou et, le lançant contre la Logique

Non ! non ! jamais ! tu es la mort de l’âme, arrière !

Il s’agenouille.

Miséricorde, mon Dieu ! pardonnez-moi ! aimez-moi !… C’est ta grâce qui fait les purs, ton amour qui fait les bons. Pitié ! pitié !