Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/85

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foncent dans le sol ; et l’ensemble de toutes ces lignes horizontales et perpendiculaires, indéfiniment multipliées, ressemblerait à une charpente monstrueuse, si elles n’avaient une petite figue de place en place, avec un feuillage noirâtre, comme celui du sycomore.
Il distingue dans leurs enfourchures des grappes de fleurs jaunes, des fleurs violettes et des fougères, pareilles à des plumes d’oiseaux.
Sous les rameaux les plus bas, se montrent çà et là les cornes d’un bubal, ou les yeux brillants d’une antilope ; des perroquets sont juchés, des papillons voltigent, des lézards se traînent, des mouches bourdonnent ; et on entend, au milieu du silence, comme la palpitation d’une vie profonde.
À l’entrée du bois, sur une manière de bûcher, est une chose étrange — un homme — enduit de bouse de vache, complètement nu, plus sec qu’une momie ; ses articulations forment des nœuds à l’extrémité de ses os qui semblent des bâtons. Il a des paquets de coquilles aux oreilles, la figure très longue, le nez en bec de vautour. Son bras gauche reste droit en l’air, ankylosé, raide comme un pieu ; — et il se tient là depuis si longtemps que des oiseaux ont fait un nid dans sa chevelure.
Aux quatre coins de son bûcher flambent quatre feux. Le soleil est juste en face. Il le contemple les yeux grands ouverts ; — et sans regarder Antoine :

Brakhmane des bords du Nil, qu’en dis-tu ?

Des flammes sortent de tous les côtés par les intervalles des poutres ; et
le gymnosophiste
reprend :

Pareil au rhinocéros, je me suis enfoncé dans la solitude. J’habitais l’arbre derrière moi.

En effet, le gros figuier présente, dans ses cannelures, une excavation naturelle de la taille d’un homme.