Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/329

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premiers jours du printemps, mais elle n’employait ce retour d’activité qu’à se jeter de plus en plus dans ses pensées sombres.

Comme elle était montée au grenier, un matin, pour chercher quelque objet, elle ouvrit par hasard une caisse pleine de vieux calendriers ; on les avait conservés selon la coutume de certaines gens de campagne.

Il lui sembla qu’elle retrouvait les années elles-mêmes de son passé, et elle demeura saisie d’une étrange et confuse émotion devant ce tas de cartons carrés.

Elle les prit et les emporta dans la salle en bas. Il y en avait de toutes les tailles, des grands et des petits. Et elle se mit à les ranger par années sur la table. Soudain elle retrouva le premier, celui qu’elle avait apporté aux Peuples.

Elle le contempla longtemps, avec les jours biffés par elle le matin de son départ de Rouen, le lendemain de sa sortie du couvent. Et elle pleura. Elle pleura des larmes mornes et lentes, de pauvres larmes de vieille en face de sa vie misérable étalée devant elle sur cette table.

Et une idée la saisit qui fut bientôt une obsession terrible, incessante, acharnée. Elle voulait retrouver presque jour par jour ce qu’elle avait fait.

Elle piqua contre les murs, sur la tapisserie, l’un après l’autre, ces cartons jaunis, et elle passait des heures, en face de l’un ou de l’autre, se demandant : « Que m’est-il arrivé, ce mois-là ? »

Elle avait marqué de traits les dates mémorables de son histoire, et elle parvenait parfois à retrouver