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POUVOIR ET DEVOIR.

tique interne » peut être une nécessité plus ou moins instinctive et même mécanique : dans la moralité comme dans le génie, il peut exister une sorte de pouvoir naturel précédant le savoir, pouvoir qui nous entraîne à agir et à produire ; le propre des penchants naturels, des habitudes, des coutumes, n’est-ce pas précisément de commander sans donner de raison à l’individu ? La coutume dans la conscience individuelle ou dans l’État, comme le disait Pascal, est respectée « par cette seule raison qu’elle est reçue. » L’autorité de la loi est parfois « toute ramassée en soi, » sans se rattacher à aucun principe : « la loi est loi, et rien davantage. » En présence de tout pouvoir antérieur à lui, de toute force qui n’est pas celle des idées raisonnées, l’entendement joue toujours le rôle secondaire qu’a bien montré le Kantisme : il se sent devant un mystère. Il ne s’ensuit pas d’ailleurs qu’il renonce à l’expliquer, même d’une manière plus ou moins superficielle ; au contraire, il n’y a rien dont l’intelligence humaine trouve autant d’explications que d’une chose pour elle inexplicable : que de théories sur le bien ! que de raisons données de cette affirmation non raisonnée : je dois, ou, comme disaient les anciens, il faut, δεὶ !

En réalité, le raisonnement dans l’abstrait est impuissant à expliquer un pouvoir, un instinct, à rendre compte d’une force infra-rationnelle dans son principe même : il faut l’observation, l’expérience. Une fois admis avec la Kantisme le fait du devoir s’imposant à la conscience comme une force supérieure, cherchons à bien constater ce fait dans ses variations essentielles et dans ses rapports avec les autres faits similaires de la conscience ; nous verrons ensuite s’il nous paraît offrir rien de supra-naturel. Kant lui-même a posé le problème dans la prosopopée