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PRÉFACE DE L’AUTEUR.

l’ordre des faits n’est point universel, et ce qui est universel est une hypothèse spéculative. Il en résulte que l’impératif, en tant qu’absolu et catégorique, disparaît des deux côtés. Nous acceptons pour notre propre compte cette disparition, et au lieu de regretter la variabilité morale qui en résulte dans de certaines limites, nous la considérons au contraire comme la caractéristique de la morale future ; celle-ci, sur divers points, ne sera pas seulement αὐτὁνομος, mais ἅνομος. Contrairement aux spéculations transcendantes de M. de Hartmann sur la folie du vouloir-vivre et sur le nirvâna imposé par la raison comme devoir logique, nous admettons avec Spencer que la conduite a pour mobile la vie la plus intense, la plus large, la plus variée, tout en concevant d’une autre manière que Spencer la conciliation de la vie individuelle avec la vie sociale. D’autre part, avec l’auteur de la Critique des systèmes de morale contemporains, nous reconnaissons que l’école anglaise et l’école positiviste, qui admettent un inconnaissable, ont eu tort de proscrire toute hypothèse individuelle à ce sujet ; mais nous ne pensons pas, avec ce même auteur, que l’inconnaissable puisse fournir même un « principe pratiquement limitatif et restrictif de la conduite », principe de pure justice qui serait comme un intermédiaire entre l’impératif catégorique de Kant et la libre hypothèse métaphysique. Les seuls « équivalents » ou « substituts » admissibles du devoir, pour employer le même langage que l’auteur de la Liberté et le Déterminisme, nous semblent être :

1o La conscience de notre pouvoir intérieur et supérieur, à laquelle nous verrons se réduire pratiquement le devoir ;

2o L’influence exercée par les idées sur les actions ;

3o La fusion croissante des sensibilités et le caractère