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DERNIERS ÉQUIVALENTS POSSIBLES DU DEVOIR.

que mon pouvoir n’est équivalent à aucune quantité déterminée ; plus je fais, et plus j’espère.

Pour avoir les avantages que nous venons de lui attribuer, l’action doit se prendre à quelque œuvre précise et, jusqu’à un certain point, prochaine. Vouloir faire du bien, non pas au monde entier ni à l’humanité entière, mais à des hommes déterminés ; soulager une misère actuelle, alléger quelqu’un d’un fardeau, d’une souffrance, voilà ce qui ne peut pas tromper : on sait ce qu’on fait ; on sait que le but méritera vos efforts, non pas en ce sens que le résultat obtenu aura une importance considérable dans la masse des choses, mais en ce sens qu’il y aura à coup sûr un résultat, et un résultat bon ; que votre action ne se perdra pas dans l’infini, comme une petite vapeur dans le bleu morne de l’éther. Faire disparaître une souffrance, c’est déjà une fin satisfaisante pour un être humain. On change par là d’un inlinitième la somme totale de la douleur dans l’univers. La pitié reste, — inhérente au cœur de l’homme et vibrant dans ses plus profonds instincts, — alors même que la justice purement rationnelle et la charité universalisée semblent parfois perdre leurs fondements. Même dans le doute on peut aimer ; même dans la nuit intellectuelle qui nous empêche de poursuivre aucun but lointain, on peut tendre la main à celui qui pleure à vos pieds.

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