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CONCLUSION.

cient qui est le vrai fond de l’activité. La conscience, il est vrai, peut réagir à la longue et détruire graduellement, par la clarté de l’analyse, ce que la synthèse obscure de l’hérédité avait accumulé chez les individus ou les peuples. La conscience a une force dissolvante avec laquelle l’école utilitaire et même l’école évolutionniste n’ont pas assez compté. De là la nécessité de rétablir l’harmonie entre la réflexion de la conscience et la spontanéité de l’instinct inconscient : il faut trouver un principe d’action qui soit commun aux deux sphères et qui, conséquemment, en prenant conscience de soi, arrive plutôt à se fortifier qu’à se détruire.

Ce principe, nous croyons l’avoir trouvé dans la vie la plus intensive et la plus extensive possible, sous le rapport physique et mental. La vie, en prenant conscience de soi, de son intensité et de son extension, ne tend pas à se détruire : elle ne fait qu’accroître sa force propre.

Pourtant, il y a aussi, dans le domaine de la vie, des antinomies qui se produisent par la mise en lutte des individualités, par la compétition de tous les êtres pour le bonheur et, parfois, pour l’existence. Dans la nature l’antinomie du struggle for life n’est nulle part résolue : le rêve du moraliste est de la résoudre ou, tout au moins, de la réduire le plus possible. Pour cela, le moraliste est tenté d’invoquer une loi supérieure à la vie même, une loi intelligible, éternelle, supra-naturelle. Cette loi, nous avons renoncé à l’invoquer, au moins comme loi : nous avons replacé le monde intelligible dans le monde des hypothèses, et ce n’est pas d’une hypothèse que peut descendre une loi. De nouveau nous sommes donc obligés d’en appeler à la vie pour régler la vie. Mais alors, c’est une vie plus complète et plus large qui peut régler une vie moins complète et