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CONCLUSION.


Nous sommes ainsi arrivé à notre formule fondamentale : le devoir n’est qu’une expression détachée du pouvoir qui tend à passer nécessairement à l’acte. Nous ne désignons par devoir que le pouvoir dépassant la réalité, devenant par rapport à elle un idéal, devenant ce qu’il doit être, parce qu’il est ce qui peut être, parce qu’il est le germe de l’avenir débordant déjà le présent. Point de principe surnaturel dans notre morale ; c’est de la vie même et de la force inhérente à la vie que tout dérive : la vie se fait sa loi elle-même par son aspiration à se développer sans cesse ; elle se fait son obligation à agir par sa puissance d’agir.

Nous l’avons montré, au lieu de dire : je dois, donc je puis, il est plus vrai de dire : Je puis, donc je dois. De là l’existence d’un certain devoir impersonnel créé par le pouvoir même d’agir. Tel est le premier équivalent naturel du devoir mystique et transcendant.

Le second équivalent, nous l’avons trouvé dans la théorie des idées-forces soutenue par un philosophe contemporain : l’idée même de l’action supérieure, comme celle de toute action, est une force tendant à la réaliser. L’idée est même déjà la réalisation commencée de l’action supérieure ; l’obligation n’est, à ce point de vue, que le sentiment de la profonde identité qui existe entre la pensée et l’action ; c’est par cela même le sentiment de l’unité de l’être, de l’unité de la vie. Celui qui ne conforme pas son action à sa plus haute pensée est en lutte avec lui-même, divisé intérieurement. Sur ce point encore l’hédonisme est dépassé ; il ne s’agit pas de calculer des plaisirs, de faire de la comptabilité et de la finalité : il s’agit d’être et de vivre, de se sentir être, de se sentir vivre, d’agir comme on est et comme on vit, de ne pas être une sorte de mensonge en action, mais une vérité en action.